mardi 29 mars 2022

Père Eric de Nattes : homélie du 4e dimanche de Carême année C

 Luc 15 : Le prodigue et Premier Scrutin des catéchumènes

Un cadet demande : ‘donne-moi ma part…’’ mais en passant à côté de ce qu’il désire vraiment : il ‘’a’’ tout, comme on dit, il dépense tout, et il se rend compte qu’il n’est rien (seul au milieu des cochons, le tableau est assez sombre !) Un aîné qui ne demande rien (sa vie est une existence faite de devoir) alors que son désir explose en reproches à la fin : ‘’tu ne m’as jamais rien donné’’… et qui refuse d’entrer dans la fête.

Une chose interroge dans les deux parcours de ces fils, c’est que l’un et l’autre n’arrivent pas vraiment à sortir du statut d’ouvrier. Comprenons bien : l’ouvrier est celui qui ‘’gagne sa vie’’ (comme on dit faussement : car il faudrait dire, qu’il gagne les moyens de son existence, car la vie, elle, se reçoit) par son travail. Le lien avec son employeur est ‘’contractuel’’. ‘Si tu fais ce que je te demande, tu recevras ce que tu mérites.’

Or, nous avons un cadet qui s’accuse d’être indigne de son statut de fils et qui ambitionne de n’être plus qu’un ouvrier au service de son père. Et un aîné qui estime avoir toujours été ‘’au service’’ de ce même père, mais précisément comme un ouvrier, sans avoir jamais profité de son statut de fils.

On a l’impression qu’ils passent tous les deux à côté de la vie. L’itinéraire du cadet qui mène grande vie (comme on dit encore assez faussement), semble confondre ce que l’on peut se payer, avoir : la vie qui s’achète ! avec la vie qui, elle, ne s’achète pas, mais qui se reçoit : les liens (filiaux, fraternels, amicaux, conjugaux, parentaux etc…), on peut acheter le plaisir d’une prostituée, on n’achète pas l’amour d’un conjoint… et toutes les tentatives pour acheter l’amour d’un enfant qu’on délaisse par ailleurs sont des échecs.

On a l’impression qu’ils passent l’un et l’autre à côté de la joie qui peut venir de cette vie qui se donne et qui s’accueille, gracieusement, comme un don qui ne s’achète pas, pas plus qu’il ne se mérite à coup de services rendus et de travail. Car cela semble bien le drame de l’aîné qui, lui, ne quitte pas le père, mais s’interdit toute vie à lui, en espérant peut-être que la récompense viendra… Mais quelle récompense, de quelle nature ? Et quand ? À la mort du père ?

Frères et sœurs, nous sommes au cœur de l’Évangile de Jésus. ‘’Comme j’aimerais que ma joie soit aussi la vôtre et que cette joie vous l’ayez en abondance.’’ Quelle est cette joie que semble vouloir partager Jésus ? Celle d’être fils. Le fils n’a pas à mériter sa vie. Elle lui est donnée et en abondance. Il n’a pas à être redevable de cette vie donnée et à payer une dette toute sa vie. C’est la joie du Père que de donner et de se donner.

Jésus passera son existence à dire au pécheur qui se sent indigne et coupable : ‘tes péchés sont pardonnés, le Père ne veut pas ta mort, il veut que tu vives’. Et il ne cessera de dire à l’obéissant qui pratique scrupuleusement les commandements : ‘Fais attention, l’amour du Père ne s’achète pas, il ne se mérite pas ; il est un don que tu peux accueillir d’un cœur humble et joyeux. Si tu penses le mériter par ta pratique, tu n’as plus besoin de cet amour, il ne fait plus signe d’une surabondance dans ta vie, il n’est qu’un salaire pour lequel tu as travaillé. Et la joie va fuir de ton cœur’.

Regardez ce que donne le Père au cadet : de beaux vêtements (sa dignité : le vêtement extérieur dit la dignité intérieure = le baptême), l’anneau (sa filiation, son alliance indéfectible et donc son statut de fils, d’héritier), les sandales (= les esclaves marchent pieds nus) = sa position de fils et non d’ouvrier. Le veau gras = la joie de vivre, vivre en compagnie, inclus et non exclu, en lien sans être soumis ou fusionnel.

Rappelez-vous, c’était le premier dimanche de notre Carême, le récit des tentations au désert. Ce moment où la voix du Diviseur, du Menteur, murmurait à l’oreille de Jésus, après son baptême : ‘’SI tu es le fils de Dieu…’’, insinuant le doute et commençant à faire entrer la tristesse. Charlotte, Emelyne, vous cheminez vers le baptême : l’eau, l’onction parfumée, l’habit blanc, vous seront donnés comme des signes de votre filiation avec le Père et vous ferez la fête. Et pourtant, une petite voix reviendra vous dire : cette vie, est-ce que tu la mérites ? Tu en as fait assez pour prétendre la gagner ? Est-ce que tout ça c’est bien vrai ? Ou encore : ai-je bien eu ma part de biens matériels, de patrimoine qui aurait pu me rendre heureux ? Car lorsque la famine intérieure vient et que l’on se sent si vide intérieurement, la tentation est grande de se remplir de choses, de plaisirs qui s’achètent ou d’activités qui nous donnent le sentiment d’exister.

Nous ne savons pas si le cadet a accueilli le don du Père dans son cœur, pas plus que nous ne savons si l’aîné acceptera d’entrer dans la fête, dans la joie de la vie donnée, surabondante. La relation filiale avec le Père, c’est l’histoire de toute la vie spirituelle pour chaque baptisé. ‘Père, fais que j’entende la musique du festin du Royaume qui est si proche de moi et que je m’en réjouisse à mon tour. Moi aussi, je veux devenir toujours plus vivant en relation avec toi et tous mes frères en humanité, eux-aussi invités.’

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