vendredi 27 mai 2022

Père Eric de Nattes : Homélie pour l'Ascension 2022

Universalité : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? (…) Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » « Il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. » Luc est celui qui souligne avec le plus de force la révolution qu’implique la passion/résurrection de Jésus, devenu Christ et Seigneur. Non seulement il accomplit les promesses des Écritures du peuple Juif, mais il vient combler l’attente spirituelle du monde païen. Ce qui se passe est inédit. Alors que l’Empire tente une unification politique des nations, Jésus, le Christ, va rassembler dans la foi toutes les nations. Si l’évangile selon Luc commençait à Jérusalem et sy achevait, le livre des Actes des apôtres commence à Jérusalem mais sachève à Rome. Alors que politiquement la rupture entre Jérusalem et Rome sera violente et se terminera dans le sang et la domination de l’une par l’autre, par la destruction du Temple, Luc a lassurance, dans la foi, que Rome et Jérusalem trouveront dans les évangiles le lien qui les rassemblera. C’est inouï, Luc en a conscience et nous en sommes les héritiers. Il faut la puissance de l’Esprit pour ouvrir les apôtres à cette dimension universelle. Joie, mais aussi défi aujourd’hui pour l’Église : comment entendre la Bonne Nouvelle sur tous les continents, la vivre dans toutes les cultures, sans en faire un rouleau compresseur impérial uniforme, mais en articulant unité et diversité. La gouvernance synodale de l’Église tente de trouver cette voie. Il nous faut la trouver dans chacune de nos communautés.

Les Écritures dévoilées. Jésus, désormais Seigneur, entrée dans la vie du Père, est l’Interprète par excellence des Écritures, c’est Lui qui en donne la clef et pas l’inverse. Luc insiste :  Moïse et la loi, les prophètes et les psaumes. Et c’est à nous désormais d’en faire, en Lui, une lecture filiale, dans l’assemblée des fils et des filles, en Église. Je veux dire par là qu’il ne s’agit plus uniquement d’une lecture de docteurs et de scribes, de savants, détachés de leur objet d’étude, mais de fils et de filles. Une lecture qui autorise le texte entendu à accéder au statut de Parole. Car c’est cette Parole qui est présence de Celui qui a été enlevé à nos yeux de chair. C’est ainsi qu’Il se fait présence au cœur de ses disciples, en cet instant même et dans tout groupe de partage des Écritures (‘’notre cœur n’était-il pas tout brûlant tandis qu’il nous interprétait les Écritures’’). Toute instrumentalisation de la Bible qui tend à justifier des positions de domination ou de violence, incompatibles avec l’esprit de l’Évangile de Jésus, le Christ, est une négation de la passion/résurrection du Christ, anti-chrétienne. Soyons vigilants. La tentation est grande en période de fortes tensions d’utiliser l’Ancien Testament pour justifier la violence, en oubliant tout à coup la clef de lecture qu’est Jésus, le Christ.

La vie publique de Jésus de Nazareth, sa Passion/résurrection et son entrée dans la Vie du Père, dessine l’itinéraire du frère aîné. Oui, c’est bien un itinéraire qui nous est découvert, celui du Serviteur qui n’a pas revendiqué son rang auprès de Dieu : Jésus de Nazareth s’est fait solidaire des hommes dans le mal qu’ils subissent, présent à leur libération, à leur guérison (nous invitant nous aussi à cette présence auprès de toute vie à guérir, relever, soigner) ; mais sa présence se fait solidaire jusque dans leur souffrance extrême et leur impuissance devant le mal lorsqu’il les submerge (un procès inique et une mort ignominieuse : l’heure des ténèbres où l’homme crie : ‘’Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?’’) ; Enfin, Jésus, solidaire des hommes jusque dans le mal qu’ils commettent, ne les abandonnant pas à leur misère extrême (‘’Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font’’), se faisant péché pour nous, ravalé au rang des malfaiteurs, descendant jusqu’en nos enfers pour aller chercher jusqu’au fils de perdition, la Brebis perdue, celle qu’il doit prendre lui-même sur ses épaules, perdue dans le désert de l’iniquité.

Alors, le fils que l’on croyait parti et perdu et que son frère accusait d’avoir dilapidé l’héritage du Père, le voilà accueilli dans les bras du Père et vivant dans l’amour paternel qui n’a cessé de l’attendre ; mais il revient désormais avec la multitude de ses frères et sœurs avec qui il a dépensé sa propre vie, celle que le Père lui a donnée, les pécheurs avec qui il a partagé la même table (‘’Il mange avec les pécheurs’’), donnant sa vie sans compter : Matthieu le publicain, Zachée le collecteur d’impôts, La Samaritaine, la pécheresse, le centurion, le bon larron et la multitude qui se croyait indigne de l’amour du Père. Cet itinéraire, c’est aussi celui du grain de blé jeté en terre, sorti du sein du Père, en abondance, dans tous les terrains, ce grain enfoui et que l’on croyait mort, le voilà devenu épi, lourd de toute une multitude, moisson abondante sous le soleil du Père. Oui, c’est ce chemin que le Père a authentifié. Alors Jésus peut être reconnu Fils, Christ et Seigneur, Grand Prêtre qui s’est offert lui-même et qui est entré dans le sanctuaire qui n’est pas fait de main d’homme. L’image cosmique de l’enlèvement au ciel dit tout cela. La Croix n’est pas la fin. C’est la vie qui est donnée par le Père. Celui qui a donné a pu recevoir.

Désormais, c’est à la communauté, à nous, d’en être les témoins vivants, l’incarnation au présent. De montrer que cette voie est chemin, vérité et vie. 

La promesse du don venu d’En-Haut. Mais il ne s’agit pas de reproduire un modèle. La vie continue par le don d’En-Haut qui vient. Car c’est désormais l’Esprit qui conduit et achève l’œuvre du Fils en la multitude de ses disciples. Mais cela, c’est Pentecôte. Pour l’instant, et de manière pédagogique, les disciples sont invités à rester à Jérusalem et à s’approprier l’expérience inouïe qu’ils vivent, celle de la relecture de la Passion/Résurrection de Jésus, reconnu Seigneur.

Viendra pour eux aussi, comme pour le Fils sorti du sein du Père, le temps de la sortie jusqu’aux confins.

mardi 10 mai 2022

Père Eric de Nattes : homélie du 4e dimanche de Pâques, année C

 Le Bon Pasteur : Mes Brebis écoutent ma voix

1°) « Le Père et moi nous sommes UN »

Dès le Prologue de son évangile, St Jean dit : ‘’Dieu, nul ne l’a jamais vu !’’ Une vérité dont bien des croyants devraient se souvenir dès lors qu’ils parlent de ‘’Dieu’’, ou, plus étonnant encore, le font parler ! « En Jésus-Christ, rajoute Saint Jean, nous avons pu contempler sa gloire. » C’est donc désormais les yeux fixés sur Jésus, les oreilles attentives à sa Parole, que St Jean peut parler de Dieu. Et il en est de même pour nous, disciples de Jésus. Tout propos sur Dieu qui ne se greffe pas sur les paroles et l’agir de Jésus, sa façon de vivre, est inutile, voire dangereux. Car alors, ce sont souvent notre idéologie, nos peurs, qui se mettent à parler, et c’est bien triste parfois.

Ainsi, vient le deuxième verset que je laisse résonner et qui est alors très logique !

2°) « Mes Brebis écoutent ma voix »

Écouter c’est se laisser habiter, transformer. Nous savons qu’écoute et obéissance sont très proches dans le langage biblique. Et nous avons tous fait l’expérience de celui ou celle qui nous écoute, vraiment, qui se laisse interpeller, voire étonner, bousculer par nos paroles et celui qui n’écoute pas, qui sait d’avance ce qu’il a à nous dire. Écouter l’évangile, car l’évangile est une Parole, la Parole de la vie qui est adressée à l’homme, c’est vraiment entrer en soi et se laisser peu à peu transformer par cette parole. L’écoute est donc profondeur, action, mais action intérieure. La plus décisive peut-être, celle qui nous change !

On voit combien, dans ce dialogue très âpre, dans l’évangile selon St Jean, entre des juifs et Jésus, ils n’écoutent pas. Ou plutôt, ils écoutent dans des cadres déjà établis, dans une matrice de compréhension qui les empêche d’entendre l’inouï de ce qui leur est dit, et de s’en trouver renouvelés. « Mais vous ne croyez pas car vous n’êtes pas de mes brebis. » ‘’Vous êtes déjà sur la défensive quand je vous parle, votre être se ferme à toute nouveauté. Vous savez d’avance !’’

3°) « je leur donne la vie éternelle » « jamais elles ne périront »

Étrange, car St Jean est mieux placé que quiconque pour savoir que les brebis périssent, notamment au milieu de la persécution qu’elles sont en train  d’affronter.

Ce thème de la vie est central dans l’évangile selon St Jean. Nous sommes tous en vie. Judas l’était, Pierre l’était. Mais être un vivant est autre chose. Judas ne l’est pas devenu, Pierre, si ! Ce qui ne veut nullement dire que l’un et l’autre ne sont pas morts biologiquement. Être un vivant, si je puis dire en reprenant les mots de la Genèse, c’est se laisser insuffler ce souffle de vie qui vient de Dieu. C’est en vivre, et s’ajuster à ce souffle-là. En ce sens, Jean a pu dire dès le Prologue en parlant de Jésus : « en lui était la Vie. » Ce qui ne veut nullement dire qu’il n’est pas mort biologiquement et que sa vie éternelle n’a commencé qu’après sa mort. Durant sa présence parmi nous, selon la chair, il était pleinement vivant ! Ce qu’il disait, ce qu’il faisait, portait la vie et la transmettait. Ainsi, écouter la voix du Berger, se laisser pétrir par elle, changer peu à peu à son contact, c’est déjà accueillir la vie éternelle. Accueillir la vie que nul ne peut tuer - ni Judas, ni Pilate, ni Caïphe - la vie qu’on ne peut faire disparaître, car elle renaîtra toujours. Elle est la vie qui ne meurt pas. Celle qui est en Dieu. Cette vie-là étant déjà dans le Père, nul ne peut l’arracher à sa main. Ce que Jésus dira à Pilate dans l’évangile selon St Jean : « tu n’as sur moi aucun pouvoir… Ma vie, nul ne la prend… »

Seigneur, tu me rappelles que vivre selon ton Évangile, c’est déjà la vie éternelle, ou, pour le dire autrement, c’est déjà la vie en plénitude, la vie vivante. T’écouterai-je ? Aujourd’hui et demain ? Mais t’écouterai-je ‘Toi’, Ton Évangile ? Pas l’idée que les autres s’en font. Ce que moi j’en entends. Et partagerai-je cette écoute avec des frères et des sœurs qui désirent comme moi être des écoutants !

Amen