mardi 15 février 2022

Père Eric de Nattes : homélie du 6e dimanche du temps ordinaire - année C - 13 février 2022

 Les deux voies : bonheur/malheur

‘’La voie du juste, la voie du méchant dit le psaume ! Une recette du bonheur… ? Dans un cas tu es heureux, dans l’autre, malheureux ! Ce serait un peu facile, et surtout très approximatif. Alors il faut creuser le sillon. Comprendre. Puisqu’on pressent pourtant une vérité dans cette parole qui nous bouscule. ‘’Heureux êtes-vous… mais quel malheur pour vous…’’

Clairement, et nous le voyons dès le psaume 1, l’Écriture évoque, bien des fois, deux horizons dans la vie des hommes. Peut-être se rappeler un des critères que donne le pape François pour le discernement : le temps prévaut sur l’espace. Le temps = la durée, le processus, ce qui s’engendre, ce qui naît et se développe en lien avec d’autres, qui prévaut sur l’espace = ce que je vois et comprends et vis ici et maintenant, mais qui est limité, ce que je perçois dans mon environnement immédiat.

1°) Dans l’un, c’est l’immédiat qui domine, les besoins, les plaisirs, la satisfaction, le contrôle (pour caricaturer : l’ici et maintenant, voire le ‘’tout, tout de suite’’) = un rapport à la vie comme quelque chose dont il faut profiter tant qu’il est encore temps parce qu’il vient, et souvent il est presque déjà là, le temps où l’on ne pourra plus en profiter = tout passe, est éphémère… une ‘’sagesse’’ du Carpe Diem.

2°) L’autre = à vue beaucoup plus longue et qui implique une responsabilité pour l’avenir, vis-à-vis de soi et des autres, et donc d’autres ressources intérieures pour tenir dans le temps présent (ai-je été une ‘’bonne ancêtre’’ se demande une chrétienne d’origine éthiopienne = n’ai-je pas déjà dévoré la part de mes enfants et de mes petits-enfants ?). En vue de ce qui naît, risque de naître, de ce qui est en germe et que je peux si facilement faire mourir. Je ne peux tout contrôler dans ce processus.

Dans la voie première, il s’agit d’être heureux sans que le bonheur ou le malheur de l’autre - présent ou lointain ; ici ou dans l’avenir - soit une inquiétude. Dans la deuxième voie, il s’agit de l’exigence d’un bonheur qui ne puisse se réaliser au détriment de l’autre, du prochain dans le temps ou l’espace, sans son bonheur ou malheur à lui, à elle, que je ne connais peut-être pas et qui n’est même peut-être pas encore né.

Dans la première voie, on pourrait parler de la vie repliée sur soi = ce que St Paul appelle la vie selon ‘’la chair’’, sans autre horizon qu’une vie dont la satisfaction ne dépasse pas un horizon immédiat, sans grande espérance (car si tu as une espérance, alors tu commences à œuvrer pour qu’elle se réalise, sinon, tu vis ce que tu peux, ici et maintenant).‘’Mangeons, buvons et mourons’’, dit encore l’apôtre. La création est ici comme un produit fini qui va se périmer et que je dois consommer avant qu’il soit trop tard. Comme dit le prophète Jérémie : malheureux (maudit) l’homme qui met sa confiance dans un mortel (dans ce qui est mortel), sans se soucier de ce qui vit et ne meurt pas (Dieu).

Dans la seconde voie, c’est la vie ouverte, ou plutôt la vie qui s’ouvre, la vie ‘’selon l’Esprit’’ dira St Paul, celle qui ouvre son horizon dans le temps et l’espace et qui prend conscience de l’interaction de tout et de tous, de la liaison de tout et de tous dans l’espace et dans la durée (‘’un membre s’élève, tout le corps s’élève, un membre s’abaisse, tout le corps s’abaisse’’), sans faire de mon intérêt immédiat le seul critère de discernement et de décision. La création est ici un processus : je suis, tout est ‘’en création’’, elle qui gémit dans les douleurs de l’enfantement, et, si je ne perçois pas clairement ce qui s’accomplit, je crois pourtant que cela s’accomplit et que je peux y contribuer. J’ai une responsabilité. La vie est comme aspirée par ce qui n’est pas encore mais qui vient. Et je peux collaborer à cet avenir. Ou le tuer dans l’œuf.

En Luc, lorsque Jésus descend de la montagne, après une longue prière durant laquelle il se relie au Père, à la source de la Vie, alors, il appelle ses apôtres. On pourrait croire que tous ces gestes de puissance, tous les miracles qu’il réalise et les guérisons qu’il opère, c’est ‘’ça’’ le Royaume de Dieu. Quelque chose d’un peu enfantin, du style du super-héros hollywoodien venu sauver l’humanité sans qu’elle n’ait rien à faire, que de se ‘laisser faire’. La prédication qui vient, et qui s’adresse aux trois cercles : apôtres, disciples et foule - donc à tous - remet, si je puis dire, les pendules à l’heure. ‘Il est de votre responsabilité d’emprunter la voie qui va vers la vie ou vers la mort’. Réfléchissez ! Jésus se relie bien à toute la tradition des Écritures : ‘’choisirez-vous la vie ? Choisirez-vous la mort ?’’

Dans ces choix que nous opérons, consciemment, ou parfois par simple habitude, et qu’il nous faudrait interroger, l’option du croyant, l’espérance du croyant, n’est-elle pas la plus raisonnable ? L’horizon de la vie, cette vie où tout est relié, connecté, où tu ne peux pas faire ton bonheur sans celui des autres - sinon quel malheur pour tous ! - pourquoi l’arrêter, cette vie, avec la mort ? N’est-ce pas la dernière limite, celle de l’ici et maintenant, que la foi nous fait franchir ? La dernière limite de la vie repliée, de ‘’l’à quoi bon’’ puisque tout est mortel, tout passe. Oh, avec humilité et sans triomphalisme ! Mais justement comme une espérance infinie. Folle mais tellement raisonnable. Comme pour ne jamais sombrer dans le désespoir, même quand tout semble aller vers la mort. La vie qui va vers la Vie ! La vie qui se dépouille pour renaître. La vie re-suscitée. St Paul : quel malheur si notre espérance en Christ n’est que pour cette vie-là. Elle l’est, bien sûr, mais la déborde tellement.

Entrer dans cette espérance et agir en conséquence = chemin du juste. Qui écoute la voix de la Vie donnée, et qui se donne en retour ; la Voix du Verbe de Vie qui interpelle : ‘’Heureux es-tu… Mais quel malheur pour vous si… !’’

mardi 8 février 2022

Père Eric de Nattes : homélie du 5e dimanche du temps ordinaire - année C - 5 février 2022 - messe des familles


Appel - Sentiment de la présence de Dieu

1°) Le sentiment de la présence de Dieu

Ça peut paraître étrange. Mais parce que je suis prêtre (on sait je ne répèterai pas ce qu’on me dit et que je ne me moquerai pas) beaucoup de personnes m’ont témoigné avoir vécu un moment, dans leur vie, où elles ont eu le sentiment puissant de la présence de Dieu à leur côté. Et si elles me le disaient, ce n’était pas pour se vanter mais pour partager un bonheur qu’elles ne pouvaient pas communiquer par peur d’être moquées ou mal comprises. Et cette expérience pouvait être très différente : parfois, face à une peur, l’impression tout à coup d’être comme poussé par une force pour aller de l’avant, avancer au large, là où l’on a peur de retourner ou d’aller. Parfois, suite à une immense peine, une impression incroyable de consolation, d’un amour qui vous enveloppe. Parfois un rêve pas comme les autres (ceux que la Bible appelle : un songe), dont on se réveille en paix, en pouvant continuer la route sereinement.

Comme toujours, ce n’est jamais une preuve. Juste un signe que l’un reconnaîtra et pas l’autre. Rappelez-vous : 10 lépreux sont guéris, un seul revient pour louer Dieu. Car aujourd’hui, avec Pierre et sa pêche miraculeuse, on pourrait dire : ‘’quelle merveilleuse coïncidence’’ ! Pierre, lui, voit un lien entre la parole de Jésus et la pêche inimaginable qu’il vient de faire. Qu’est-ce que le sentiment puissant de cette présence si douce (Élie = dans la brise légère), change dans la vie ?

2°) Une présence qui est alors un appel pour vivre :

- Un pécheur purifié, pardonné ! Que ce soit pour Isaïe (Malheur à moi, je suis un homme aux lèvres impures), pour Paul (Moi qui suis un ‘’avorton’’ = un homme chétif, mal fait, parfois monstrueux), et Pierre (éloigne-toi, je suis un homme pécheur), les trois, au moment de cette présence, réalisent l’abîme entre Dieu et eux. Ils ont peur d’une telle rencontre. Ils n’en sont pas dignes. Et pour les trois, le message est celui du pardon, de la purification, pour chasser la peur. L’homme se connaît tel qu’il est : si faible, si peureux, pécheur, et pourtant, à ce point aimé qu’il découvre en lui la force d’aller de l’avant, car cet amour renouvelle tout ce qu’il est.

- Qui je suis et qui est Dieu s’en trouvent vraiment renouvelés. Comme dans une vraie rencontre, les identités changent, s’enrichissent : Simon devient Pierre, et Jésus, qui encore un Maître, un rabbi, aux yeux de Simon, devient alors ‘’Seigneur’’. Une rencontre nous change. Sinon c’est simplement une ‘’connaissance’’ comme on dit très justement, ça reste un peu extérieur à nous. La rencontre, c’est ce qui nous pénètre, et nous fait nous connaître, et nous renouvelle.

- La force de la parole dans chacune des rencontres : elle qui purifie, elle qui nous fait engager encore nos actions alors que c’était l’échec, elle qui nous fait apôtre, nous les avortons. Elle qui nous fait avancer au loin.

- Rencontre, vie renouvelée = appel à une nouveauté. Cela ne veut pas forcément dire que l’on va partir dans un nouveau métier, une nouvelle mission. Cela peut déjà vouloir dire que tout ce qui est vécu est renouvelé. Un peu comme quelqu’un qui tombe amoureux voit désormais la vie, ses relations, son activité d’une manière nouvelle, à travers le filtre amoureux de son regard. Pour certains, ce sera un changement complet de vie. Un appel à une nouveauté radicale. Pour d’autres, un engagement désormais dans une action nouvelle. Pour d’autres, ce changement intérieur qu’on ne voit pas de l’extérieur mais qui a tout renouvelé de l’intérieur.

Seigneur, sur ta parole, une fois encore, je vais lancer mes filets.



vendredi 4 février 2022

Père Eric de Nattes : homélie de la Fête de Présentation de Jésus au Temple - 2 février 2022

Je vous propose ma méditation du rapport entre Jésus et le Temple en partant de la fin : le rideau se déchire, puisque désormais toute chair sera investie de la présence de l’Esprit de Dieu, de l’Esprit Saint. Le temple, désormais, c’est MOI : mon corps, et toute ma personnalité, ce corps qui permet à la vie qui est en moi de prendre forme, de grandir, de s’individualiser, de faire l’expérience de l’existence : alors je peux relire la présence de Jésus au sein de ce Temple-là.

Jésus est présenté au Temple. L’image du vieillard tenant l’enfant dans ses bras ne nous parle-t-elle pas ? Contemplons-là. Les deux extrémités de la vie, dans leur fragilité respective, qui s’embrassent et se reconnaissent. Un vieillard qui ne finit pas méchant et aigri, mais qui prend, plein de reconnaissance et d’émotion, la vie naissante qui a besoin d’être protégée pour croître.

Et moi, comment est-ce que je prends soin de la vie, fragile, quel que soit mon âge qui est en moi ? Car demeure en chacun de nous l’enfant qui aspire à la vie. Comment est-ce que je le porte avec émotion, reconnaissance. C’est en reconnaissant en moi cette vie qui demande attention que je pourrai sans doute au mieux être attentif à celle de mon prochain. A la reconnaître. J’aimerai tellement pouvoir saisir dans ces gestes du quotidien la prophétie de la présence de mon Dieu. (la mère avec l’enfant, les enfants qui jouent, les fiancés qui s’enlacent, le conjoint âgé qui prend l’autre par la main, les soignants, mon voisin de banc qui m’a souri et salué en s’installant etc..) Avons-nous conscience de la beauté de Dieu qui peut se laisser voir dans ces gestes si quotidiens ?

Jésus Adolescent s’arrête dans le Temple. Le voilà qui dialogue avec les Docteurs et les Scribes. Il prend ses distances avec Marie et Joseph. Il devient l’homme qu’il sera, il prend conscience de qui il est, de sa filiation. Il questionne, il écoute ; lui-même donne son avis. Quelle est l’autorité qui fait grandir sa vie (parents, docteurs, son Père ?) Il a besoin d’écart, de ne plus être simplement le membre d’une famille, mais de devenir lui-même, une personne.

Comment est-ce que j’accepte le dialogue avec Lui en moi ? Ses questions ? Comment est-ce que j’accepte qu’il grandisse et s’affermisse en moi. Qu’il m’aide moi-même à être qui je suis en devenant mon compagnon de route.

Jésus chasse les vendeurs du Temple. Colère devant tout ce qui a pénétré ici et qui profane l’espace sacré d’une présence magnifique. Tout ce qui a détourné la vie vers de la transaction, du commerce, du profit. La vie qui était censée être servie, restaurée, honorée, fêtée, célébrée, dans cet espace, cette Vie n’est plus qu’un prétexte. Où est le don, l’accueil, la gratuité, le partage, la reconnaissance lorsqu’il n’est plus question que d’échange, de marchandisation, de gains, d’échanges.

Seigneur, ce n’est que par amour d’une présence que je désire vraiment que je peux chasser ce qui encombre, voire souille le temple que je suis. Donne-moi l’amour de Toi.

Jésus prophétise la destruction et la reconstruction du Temple en trois jours.

Je sais que ce temple passe. Il vieillit, il finira. Il ne portera plus ma vie. Jésus me demande d’entrer dans la confiance : « détruisez-le, en trois jours je le rebâtirai » ! Ne cherche pas comment ce sera. Fais confiance. Ta vie est autre chose que de la chair. Elle est présence, expérience unique de tout ce que tu as vécu.

Accepte de renaître en Dieu. Et ne fais pas partie de ceux qui se sont moqués déjà à l’époque et qui se moquent encore. La vie est un mystère plus grand que tes doutes ou certitudes.

L’offrande extérieure (la religion) ou l’offrande intérieur (la vie spirituelle) (« un couple de tourterelles ou deux petites colombes » ou comme le dit l’épitre aux Hébreux : « Tu m’as fait un corps alors j’ai : voici, je viens.)

La seule offrande désormais : moi-même. La vie est offrande (semence, croissance, don et renaissance = fécondité). N’est-ce pas là l’essence même de la vie consacrée. Que nous fêtons aussi aujourd’hui.