jeudi 16 décembre 2021

Père Eric de Nattes : ‘’Le peuple était en attente ! Que devons-nous faire ?’’ (homélie du 3e dimanche de l'Avent, année C)

Toute la foule, des publicains et même des soldats viennent écouter Jean-Baptiste, parti dans le désert. Pourquoi ? Le texte nous le dit : ‘’le peuple était en attente.’’

Le peuple sentait bien que quelque-chose devait bouger, changer. Ne trouvez pas que l’on sent aussi, dans un contexte différent, ces attentes ? Que ce n’est plus possible. Toute cette misère, cette colère qui s’accumule, cette injustice, ce fossé entre les riches toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, cette planète qui part à la dérive et ces flux migratoires qui manifestent une misère de masse… Il faut croire que Jean-Baptiste savait parler aux cœurs en attente.

Alors le peuple pose la question : ‘’que devons-nous faire ?’’ Oui, ce n’est pas un geste symbolique de purification qui va tout changer si je ne change pas moi. Si je ne bouge pas, moi ; si je ne me mets pas concrètement à l’œuvre, moi ; bref si je ne me convertis pas, si je ne vis pas un baptême de conversion… sinon, cela voudrait dire que je fais partie du peuple immense des indignés de tout, mais qui ne bougeront jamais sur rien.

-      Je suis en attente d’une planète dont on prenne soin et qui soit verte et vivante. Mais moi, je consomme autrement ? Mais moi, je prends conscience de mes déchets  et comment ? Cela change quoi dans ma vie ? Concrètement ? Vers de la simplification. Ou bien je continue de consommer et de vivre comme avant tout en m’indignant ?

-      Je suis en attente d’une économie mondiale qui ne laisse plus sur le bord de la route des millions et des millions de personnes. Que chacun vive dignement et de son travail et non pas d’une accumulation d’aides qui deviennent humiliantes. Suis-je prêt à revoir la voilure de mes propres intérêts, de mon confort de vie ?

-      Je suis en attente d’un monde où cesse la domination du plus fort, la terreur du dominant. Mais moi, j’écoute les autres sans violence, dans un souci de dialogue, certain que la vérité va germer de cette bienveillance réciproque : dans ma famille, mon voisinage, mon travail, à l’école, etc … Mais moi, je me cultive, je lis, au lieu de répéter ce que te disent des réseaux sociaux où je ne sais jamais qui parle ?

Etc etc…

Alors est-ce que cela suffit ? Non, sans doute pas. Mais cela prépare à ce qui vient. Moi je vous baptise dans l’eau. Je vous demande une purification, une autre façon de penser le monde et vos rapports entre vous, et votre économie, et votre lien à la planète, et de vous corriger de vos violences, de vos jugements. Alors, celui qui baptise dans le feu et l’Esprit Saint pourra venir et sa parole prendra chair en vous. Alors, ce qui est en vous, mais comme étouffé, le don de Dieu, sa vie puissante, prendra sa place. Et le Royaume s’approchera.

Un temps de l’Avent pour une Église qui entre en démarche synodale ! Il faut se faire écoute de nos attentes et de celle des autres. Recueillir tout cela et le partager. Et sans attendre de réponse des autres, convertir ce qui peut et doit déjà l’être en moi.

En ce dimanche, Seigneur, je te demande la grâce de me faire passer de l’inquiétude à la confiance ; de la peur à l’assurance ; de la tristesse à la joie de savoir que tu viens, toujours, dans chaque vie et dans l’histoire.

Chantal Defélix : commentaire de l'Évangile du deuxième dimanche de l'Avent , année C

 Année 28 de notre ère. Le Jourdain coule comme il peut au milieu des cailloux, sous un soleil de plomb. Une longue file de gens attend son tour. On y reconnaît des collecteurs de taxes, des militaires, ce genre de personnes qu’on déteste pour leur collusion avec l’occupant romain. Ils viennent se faire baptiser par Jean, le fils de Zacharie.

Pourtant, il n’a rien qui attire, ce Jean : à moitié ermite, vêtu comme un sauvage, il crie que la fin du monde est imminente, avec son feu destructeur, et que la colère de Dieu va s’abattre sur les pécheurs de son peuple.  Dans la lignée des prophètes d’Israël, Jean est le dernier, le plus flamboyant.

Seulement voilà, il crie, mais en même temps il propose un moyen d’échapper au Jugement final : reconnaître ses péchés, s’engager à mener une vie nouvelle et meilleure, et plonger dans l’eau. Ce baptême anticipe, garantit en quelque sorte, symboliquement, le pardon que l’Esprit Saint accomplira au dernier jour, lorsqu’il sera répandu comme de l’eau, selon la promesse du prophète Joël.

Et s’ils sont si nombreux à se presser au bord du Jourdain, tous ces gens aux mains impures, c’est que le pardon leur est inaccessible. Il faudrait pour cela offrir un sacrifice au Temple de Jérusalem, mais comment accéder au Temple avec des mains impures ?

Jean, ce fils de prêtre, a rompu avec les traditions de son milieu et au désert, il prépare un avenir pour ceux qui n’en avaient pas.

Jésus ne serait pas advenu ce qu’il a été sans la rencontre de Jean. Le baptême au Jourdain sera le point de départ de sa vocation. Lui aussi prêchera la venue imminente du Royaume, lui aussi exhortera à se convertir, lui aussi annoncera un pardon à la portée de tous, moyennant la conversion du cœur. Mais ce ne sera plus la colère contre les pécheurs qui dominera, mais l’avènement d’un salut joyeux. Dieu ne sera plus seulement proche, il sera là ; et c’est un Dieu d’accueil et de miséricorde.

Alors, a-t-il quelque chose à nous dire, aujourd’hui, ce prédicateur de la fin des temps ?

Personnellement, je vois deux aspects de son activité ou de sa vie susceptibles de nous rejoindre en ce temps de l’Avent, alors que justement nous préparons notre cœur à une venue renouvelée de Dieu parmi nous.

Jean est une voix qui crie dans le désert. Apparemment, cette voix est destinée à se perdre dans le sable et le vent. Comme la nôtre, souvent, dans l’indifférence de notre société. On fait ce qu’on peut, on sème des graines d’Evangile, mais le dépit n’est pas loin : à quoi bon ? A quoi bon envoyer plus d’une centaine d’invitation à une rencontre d’éveil à la foi et n’obtenir que trois réponses ? A quoi bon mettre ses enfants sur le chemin de la foi et constater, une génération après, que ses petits-enfants ne sont même plus baptisés ? Pourtant, « tout être vivant verra le salut de Dieu » : c’est cela que criait Jean-Baptiste dans le désert de Judée. C’est cela que nous crions aujourd’hui dans une autre forme de désert. Cette parole est notre lumière et notre espérance. Jean Baptiste nous remet dans l’axe, celui du Christ qui vient. Il sait bien, lui, que le désert est le lieu de l’inattendu, de la rencontre vraie avec Dieu, et de la joie des pauvres.

Et puis, Jean a payé de sa vie son intrusion téméraire dans les affaires des puissants : il a péri de mort violente, victime d’Hérode Antipas, à qui il reprochait son inconduite. Il est mort avant de voir Jésus déployer sa mission. Lui qui pressentait la venue du Royaume, il ne l’a pas touchée. Lui qui annonçait un « plus fort que lui », il n’a pas le temps de le suivre. Alors je me dis qu’il peut être le compagnon de tous ceux et celles qui portent un rêve et ne le verront pas s’accomplir de leur vivant. Je pense à ma mère, emportée par un cancer et qui disait : ‘J’aurais tant voulu voir grandir mes petits-enfants’. Je pense à ces migrants qui font naufrage à quelques mètres de la côte. Je pense à mon rêve d’une Eglise différente, est-ce que je la verrai un jour ? Tous nos cris qui semblent perdus, ils sont le cri de Jean-Baptiste. Et sa mort n’a pas été la fin de son rêve. Jésus vient. « Tout homme verra le salut de Dieu ».

vendredi 10 décembre 2021

Père Eric de Nattes : Une Église synodale ? On s’interroge. Marie, figure de l’Église. Comment cheminer avec elle ? Qu’indique-t-elle ? Faire route avec elle… (homélie du 8 décembre 2021)

 8 décembre 2021 Immaculée Conception

Une Église synodale ? On s’interroge. Marie, figure de l’Église. Comment cheminer avec elle ? Qu’indique-t-elle ? Faire route avec elle…

-      ‘’L’Esprit Saint viendra et te couvrira de son ombre.’’ Marie vit sous l’ombre de la puissance de l’Esprit. Vivre à l’ombre de l’Esprit, ce n’est pas chanter, vite fait, un refrain à l’Esprit-Saint et passer ensuite aux choses sérieuses : l’ordre du jour de la réforme de la vie de l’Église. Faire silence et écouter, s’écouter les uns les autres pour que le Verbe, qui est bien plus profond que tous nos mots déjà préparés, puisse prendre chair. Une Église synodale se place au souffle de l’Esprit dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va. ‘’On ne sait…’’ ce qui signifie que si l’on a déjà des modèles dans les cartons, des projets pour que ça marche, une organisation à défendre, alors ce sera un relooking, une opération cosmétique. Se laisser déconcerter et mener par l’Esprit. Ne plus savoir, et l’accepter. Une Église synodale, à l’image de Marie, est spirituelle, d’abord et avant toute chose. C’est déjà cela, qu’elle peut donner au monde. Alors elle pourra devenir, à Nazareth, la maison du discernement et pas la citadelle de la doctrine.

-      ‘’Marie gardait tous ces événements dans son cœur et les méditait’’. Une Église synodale, mariale, médite en profondeur les événements qui surgissent (ce sont nos maîtres disait E. Mounier) sans se lamenter, mais pour y décrypter l’œuvre de Dieu, ses appels, au cœur des chemins sinueux, complexes. Elle ne passe pas son temps à condamner un monde qui ne fonctionne pas comme elle le voudrait ou qu’elle ne comprend plus. Elle sait que l’Esprit le travaille, alors elle médite.

-      ‘’Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?’’ Une Église synodale mariale se réjouit de la fécondité des autres, même et surtout là où tout semblait stérile. Elle ne désespère pas. Elle ne vient pas étaler sa joie à elle et sa fécondité à elle. Elle s’empresse auprès de ce qui naît. Elle ne cherche pas à prendre le contrôle de la vie des autres et de la société. Elle ne le fait pas parce qu’elle n’a pas peur et qu’elle sait que Dieu la précède partout et qu’il est à l’œuvre au cœur de ce monde.

-      ‘’L’enfant redescendit avec Marie et Joseph à Nazareth, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce.’’ 3 années, peut-être, au grand maximum, de vie publique et 30 années dont on ne sait rien, sinon que la croissance s’est faite là, à Nazareth. L’Église synodale, mariale, fait route dans le quotidien de la vie des hommes. Elle n’a pas l’inquiétude des stars qui doivent exister sous les feux de la rampe médiatique. Elle sait que ce qui grandit est fragile et nécessite de l’attention, dans le silence. À Nazareth on aime entrer dans sa maison même si on ne va pas à la synagogue et pas encore dans l’église. C’est là que l’Église synodale mariale a appris à écouter les gens, leurs chemins de vie, leurs chutes et leurs renaissances, de quoi ils ont vraiment besoin. Elle n’a pas de produits tout prêts en boutique.

-      ‘’Faites tout ce qu’il vous dira.’’ L’Église synodale mariale fait route avec ce fils déconcertant, lui qui ne suit pas sa famille à l’âge de 12 ans déjà, pour demeurer chez son Père. Lui qui dira avoir pour famille tout personne qui écoute la Parole de Dieu et qui la met en pratique. Lui qui fera bon accueil à des publicains, des prostituées et des pécheurs : étrange album de famille de cabossés de l’existence mais dont le cœur a recommencé à battre auprès de ce Fils sur lequel l’Église ne peut jamais mettre la main car c’est lui qui la conduit. Il est la joie du Père.

-      ‘’Tu auras le cœur transpercé par un glaive.’’ Oui, l’Église synodale, mariale, dont on lui a pourtant dit qu’elle était ‘comblée de grâce’ n’échappe pas à la violence abjecte de l’histoire. Son Dieu n’est pas un paratonnerre commode pour les uns, insensible au malheur des autres. Sur sa route se dressent aussi les croix devant lesquelles nous ne comprenons plus rien et hurlons notre douleur.

-      ‘’Les disciples se réunissaient dans la chambre haute, ils étaient assidus à la prière avec quelques femmes et Marie, la mère de Jésus et ses frères.’’ Sur cette poignée de disciples, après le désastre du Golgotha, comme l’Esprit avait couvert Marie de son ombre, c’est désormais sur les disciples qu’il va se répandre. Pentecôte ! Vent de toutes les audaces.

Marie, comblée de grâce, alors que notre ville se revêt de lumière pour te dire notre gratitude, et que nous te prenons chez nous comme ton fils l’a demandé à Jean, nous te prions, les disciples de ton fils, dans la chambre haute. Qu’une nouvelle Pentecôte allume le feu dans l’Église !