mardi 8 mars 2022

Père Eric de Nattes : homélie du 1er dimanche de Carême, année C

Luc 4, 1-13 Les tentations 

« Après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit-Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert. » L’Esprit, descendu sur Marie et dans lequel Jésus a été conçu, au baptême, ce même Esprit descend sur Jésus et une voix atteste : « Toi, tu es mon fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » Dans le désert une autre voix, celle du ‘diviseur’, se fait entendre : « Si tu es le Fils de Dieu… ». Les deux récits sont donc bien intimement liés. La Voix venue du ciel dit une filiation. Mais nous savons qu’une filiation se construit et qu’elle est éprouvée car elle engage une relation, une histoire. Elle n’est pas simplement une identité posée sur quelqu’un et notifiée dans un registre d’État Civil ou sur celui des baptêmes dans une paroisse. Qui, dans cette assemblée, pourrait dire que sa filiation terrestre n’a jamais posé question ? Et sa filiation venant du Père ? Un chemin sans histoire ? Alors une autre voix vient éprouver cette filiation. La mettre en question, en doute, la tenter. Celui qui a reçu sa filiation d’un autre (et c’est le propre de notre identité puisque nul ne s’est donné à lui-même la vie) doit alors donner sa propre réponse, dans l’épreuve de la vie, dans l’opacité de la vie, dans sa faim, son dénuement, sa précarité, sa peur de l’abandon, sa solitude, mais aussi dans ses rêves d’abondance, de domination, de réussite, de jouissance. Voici, en un récit condensé, l’épreuve que le Fils va maintenant traverser.

 Jésus vit l’épreuve de la faim, du manque. Manquer, avoir faim, désirer. Dimension essentielle de la vie qui s’éprouve dans son impossible autosuffisance. ’’Ordonne à cette pierre de devenir du pain.’’ Le monde, l’autre aussi, peut-être, réduit à être là pour combler ma faim. Pour celui qui a les mains pleines et pour qui la vie se prend, se conquiert, l’amour et peut-être la vie elle-même, comme un don à recevoir, ne peut plus faire sens. Et ce qui se reçoit chaque jour comme un don, s’efface peu à peu de l’horizon. Tout est convoitise et réduit au besoin que j’en ai, au plaisir que j’en retire.

Ô Seigneur, combien tu relèveras cette vie de l’Esprit chez l’autre dont l’existence qui semble ne manquer de rien, est devenue indigente de l’essentielle, et comme une ombre malheureuse : la Samaritaine, Zachée, Matthieu…

 Jésus vit l’expérience de la vulnérabilité, de la petitesse, voire de son insignifiance au regard du monde, dans ce milieu où il est isolé et avec si peu de moyens. La vie : un souffle qui passe si vite ; une existence : une poussière dans une immensité. ‘’Il lui montra tous les royaumes de la terre avec leur gloire’’. La tentation du pouvoir, de la domination, de la gloire. On pourrait dire : la dilatation de l’égo qui envahit tout l’horizon, même celui de l’autre. Pas besoin de vouloir fonder des empires pour éprouver parfois ce désir de régenter la vie des autres ou de vouloir imposer ses conceptions, sa façon de voir et de vivre. Ô Seigneur, cette vigilance qui sera constamment la tienne à respecter la liberté de l’humain. Il n’y a que les démons que tu soumettras. Jamais tu ne donneras ce pouvoir à tes disciples sur les hommes.

 Jésus vit l’expérience de l’exigence dans la relation au Père : silence, solitude et peut-être jusqu’au sentiment d’abandon. Et là, le ‘Diviseur’ le tente en citant la Parole elle-même, mais qu’il tort et travestit en la sortant par petits bouts de son contexte général ; et par la religion aussi, en le plaçant symboliquement au sommet du Temple. La Parole et la religion instrumentalisées ! Est-il besoin de rappeler combien cette tentation est de toujours à toujours et tellement actuelle. Et point n’est besoin de prétentions politiques pour entrer dans ce jeu funeste qui a détourné tant d’enfants du Seigneur lui-même : ‘Dieu te voit et te punira. Il sait tout.’ Dieu devenu une idole à disposition de langues perverses qui parlent en son nom.

Ô Seigneur, Toi le Verbe de la Vie, Toi le Temple vivant rebâti en 3 trois jours, Tu as toujours pris soin de ne dire que ce que tu tenais du Père et non des hommes et de leurs désirs de dominer leurs semblables.

 Frères et sœurs, il faudra attendre désormais la Semaine-Sainte pour entendre à nouveau la voix de la tentation dire : « Si tu es le Fils de Dieu, descends donc de la Croix et sauve-toi toi-même. » Dans la faim extrême, le dénuement total, l’exigence nue et terrible.

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