Luc 4, 1-13 Les tentations
« Après
son baptême, Jésus, rempli d’Esprit-Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans
l’Esprit, il fut conduit à travers le désert. » L’Esprit, descendu sur Marie et dans
lequel Jésus a été conçu, au baptême, ce même Esprit descend sur Jésus et une
voix atteste : « Toi,
tu es mon fils
bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. » Dans le désert une autre voix,
celle du ‘diviseur’, se fait entendre : « Si tu es le Fils de Dieu… ». Les deux récits sont donc bien
intimement liés. La Voix venue du ciel dit une filiation. Mais nous savons qu’une
filiation se construit et qu’elle est éprouvée car elle engage une relation,
une histoire. Elle n’est pas simplement une identité posée sur quelqu’un et
notifiée dans un registre d’État Civil ou sur celui des baptêmes dans une
paroisse. Qui, dans cette assemblée, pourrait dire que sa filiation terrestre n’a
jamais posé question ? Et sa filiation venant du Père ? Un chemin sans histoire
? Alors une autre voix vient éprouver cette filiation. La mettre en question,
en doute, la tenter. Celui qui a reçu sa filiation d’un autre (et c’est le
propre de notre identité puisque nul ne s’est donné à lui-même la vie) doit
alors donner sa propre réponse, dans l’épreuve de la vie, dans l’opacité de la
vie, dans sa faim, son dénuement, sa précarité, sa peur de l’abandon, sa
solitude, mais aussi dans ses rêves d’abondance, de domination, de réussite, de
jouissance. Voici, en un récit condensé, l’épreuve que le Fils va maintenant
traverser.
Jésus
vit l’épreuve de la faim, du manque. Manquer, avoir faim, désirer. Dimension essentielle de la
vie qui s’éprouve dans son impossible autosuffisance. ’’Ordonne à cette pierre de devenir du pain.’’ Le monde, l’autre aussi, peut-être,
réduit à être là pour combler ma faim. Pour celui qui a les mains pleines et
pour qui la vie se prend, se conquiert, l’amour et peut-être la vie elle-même,
comme un don à recevoir, ne peut plus faire sens. Et ce qui se reçoit chaque
jour comme un don, s’efface peu à peu de l’horizon. Tout est convoitise et réduit
au besoin que j’en ai, au plaisir que j’en retire.
Ô Seigneur, combien tu relèveras cette vie de l’Esprit chez
l’autre dont l’existence qui semble ne manquer de rien, est devenue indigente
de l’essentielle, et comme une ombre malheureuse : la Samaritaine, Zachée,
Matthieu…
Jésus
vit l’expérience de la vulnérabilité, de la petitesse, voire de son
insignifiance au regard du monde, dans ce milieu où il est isolé et avec si peu de moyens.
La vie : un souffle qui passe si vite ; une existence : une poussière dans une
immensité. ‘’Il lui montra tous les royaumes de
la terre avec leur gloire’’. La tentation du pouvoir, de la domination, de la gloire.
On pourrait dire : la dilatation de l’égo qui envahit tout l’horizon, même
celui de l’autre. Pas besoin de vouloir fonder des empires pour éprouver
parfois ce désir de régenter la vie des autres ou de vouloir imposer ses
conceptions, sa façon de voir et de vivre. Ô Seigneur, cette vigilance qui sera
constamment la tienne à respecter la liberté de l’humain. Il n’y a que les démons
que tu soumettras. Jamais tu ne donneras ce pouvoir à tes disciples sur les
hommes.
Jésus
vit l’expérience de l’exigence dans la relation au Père : silence, solitude et
peut-être jusqu’au sentiment d’abandon. Et là, le ‘Diviseur’ le tente en citant la Parole elle-même,
mais qu’il tort et travestit en la sortant par petits bouts de son contexte général
; et par la religion aussi, en le plaçant symboliquement au sommet du Temple.
La Parole et la religion instrumentalisées ! Est-il besoin de rappeler combien
cette tentation est de toujours à toujours et tellement actuelle. Et point n’est
besoin de prétentions politiques pour entrer dans ce jeu funeste qui a détourné
tant d’enfants du Seigneur lui-même : ‘Dieu te voit et te punira. Il sait tout.’
Dieu devenu une idole à disposition de langues perverses qui parlent en son
nom.
Ô Seigneur, Toi le Verbe de la Vie, Toi le Temple vivant
rebâti en 3 trois jours, Tu as toujours pris soin de ne dire que ce que tu tenais
du Père et non des hommes et de leurs désirs de dominer leurs semblables.
Frères et sœurs, il faudra attendre désormais la
Semaine-Sainte pour entendre à nouveau la voix de la tentation dire : « Si
tu es le Fils de Dieu, descends donc de la Croix et sauve-toi toi-même. » Dans
la faim extrême, le dénuement total, l’exigence nue et terrible.
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