Cène 2022
Trois défis en méditant cet évangile :
La
fraternité : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les
aima jusqu’au bout. »
Une dernière fois avant que les événements terribles ne les dispersent, Jésus réunit
ses proches, ses amis, ceux qu’il a appelés, pour le dernier repas. La
fraternité n’est pas une option dans le christianisme, elle est son cœur.
Elle se reçoit de Jésus lui-même. C’est Lui qui rassemble.
Pas plus que les douze n’étaient une bande de copains qui se retrouvaient parce
qu’ils se ressemblaient et s’aimaient bien, nous ne sommes en cet instant de
sensibilités identiques et d’accord sur tout. Il y avait des zélotes qui
voulaient une révolte armée, des publicains qui prélevaient l’impôt pour l’envahisseur,
des personnes proches des pharisiens, d’autres du mouvement baptiste. Dès le début,
le rassemblement autour de Jésus éprouve chacun dans sa capacité à accueillir l’autre
qui est aussi appelé, et pourtant si différent de moi. L’aimer, cela ne veut
pas dire en faire un copain, mais beaucoup plus… quelqu’un dont je veux qu’il
vive, qu’il entende la Parole, qu’il accueille sa liberté en Christ et que nous
devenions frères. À vues humaines : un vrai défi !
Ce défi est le grand défi de notre monde qui voit les
communautés s’éloigner les unes des autres comme les galaxies dans un cosmos
vide et sans vie, le défi d’un libéralisme égoïste qui nous individualise de
plus en plus jusqu’à nous isoler. Les chrétiens que nous sommes sauront-ils
affronter le défi de la fraternité, comment, pour témoigner au monde que cette
exigence est celle de la vie elle-même ?
Renoncer à la domination : « Au cours du repas, le cœur déjà envahi par la haine, Judas ayant décidé de livrer Jésus, ce dernier se leva, déposa son vêtement et remis un tablier et lava les pieds de ses disciples. »
La fraternité qui se reçoit de Jésus, se reçoit par le bas,
si je peux le dire ainsi. Judas qui trahit, comme Pierre qui renie ainsi que
tous ceux qui s’enfuiront, mais aussi le disciple bien-aimé, tous auront les
pieds lavés par le Seigneur. Comprenons-nous ce que cela veut dire, nous
demande Jésus ? Ce geste, il n’a cessé de le faire tout au long de sa vie
publique. Il s’est invité chez Zachée le collabo, il a accepté l’onction de la
prostituée, il a mangé chez les pécheurs, il est descendu à terre avec la femme
adultère, il a placé l’enfant repoussé au centre, il a touché le lépreux
repoussant et rejeté… À l’heure où Jésus retourne vers le Père, une dernière
fois, il le leur redit par un geste : si vous n’accueillez pas la vie que le Père
vous donne dans la fragilité qui est la vôtre, les blessures qui sont les vôtres,
la petitesse qui est vôtre, alors vous n’entrerez pas dans le Royaume. Vous
continuerez de rêver de grandeur, de revanche, de domination. Ne nous prenons
pas par le haut, en surplomb.
À l’heure où les empires veulent se reconstituer par les armes, où des discours de domination peuvent utiliser la sémantique religieuse, les chrétiens sauront-ils, comme ils l’ont fait face à la puissance de l’empire de Rome, redire leur foi en la vie donnée et à sa victoire par la résurrection ? Le défi de l’évangile n’a pas pris une ride.
La
frugalité heureuse : « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit
du pain… puis la coupe : mon corps, mon sang ! » Les mots de Paul, sans doute la première
attestation de l’eucharistie, avant même que les évangiles soient rédigés.
Comme j’aime ce signe de la vie qui se donne en partage. Le
pain qui nourrit : tout à la fois donné par la céréale, fruit de la terre, et
cultivée par l’homme pour en faire tous les pains croustillants et délicieux
qui sont sur nos tables. Le vin qui réjouit, signe de la fête, de l’abondance,
donné dans le fruit de la vigne, mais vinifié savamment par l’homme pour en
faire un vrai nectar. ‘’Mon corps, mon sang’’. La dernière Cène : le repas
total, le repas ultime. Où le partage de la nourriture devient aussi le don de
nos présences les uns aux autres, et le don de la Vie elle-même qui traverse
chacun de nous et nous relie les uns aux autres, la vie donnée par le Père dans
le Fils qu’il a envoyé, tant il a aimé ce monde. Oh Seigneur, que nous
aimerions être, par notre présence, les uns pour les autres, comme Toi, un pain
nourrissant qui rassasie, et un vin savoureux qui fait passer de la tristesse à
la joie, dans une communion de chacun en tous. Est-ce cela, le Royaume ?
À l’heure où notre planète est à bout de souffle, pillée
par une économie prédatrice, les chrétiens sauront-ils vivre, au plus concret
de leurs vies, ce que l’eucharistie signifie d’une vie heureuse et simple, qui
ne cherche pas à remplir le vide… celui qu’aucune chose ne peut combler. Mais
une vie ajustée au monde, à l’environnement qui nous porte… encore… mais pour
combien de temps ? Une vie qui se reçoit dans la relation, dans l’amour donné et
reçu.
Seigneur, fais-nous devenir eucharistique, comme Toi, portés
en offrande agréable au Père.
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