MEDITATION LORS DE LA MESSE DU 2 MAI 2021
Mots Introductifs par père Gilbert Brun
Le dimanche 18 avril
nous avions comme texte d’Évangile celui de St Luc (24, 35-48), texte dans
lequel le Christ indique à ses apôtres « touchez moi, regardez : un esprit n’a pas de chair, ni d’os comme
vous le constatez que j’en ai ». J’évoquais dans mon homélie « le
spirituel lui-même charnel » de Péguy.
Nous avons souhaité
prolonger ce mystère de l’incarnation en lisant quelques-uns des 1 911 quatrains,
des 7 644 alexandrins écrits par Charles Péguy dans son poème Eve publié en 1913.
Dans cette tapisserie
Péguy convoque Ève du texte de la Genèse non pas comme la séductrice ou la
tentatrice mais comme la mère de l’humanité, la fiancée du Cantique des
Cantiques, la Chair au sens de la Création et non comme antithèse de l’esprit.
Ève est tout homme, toute âme qui répond à l’appel de Dieu. Jésus s’est fait
homme, il est passé dans l’histoire et la Chair, la Création trouvera grâce
devant Dieu par Lui comme nouvel Adam. Le Charnel relie alors l’éternel et le
temporel et l’arbre de la connaissance du jardin d’Eden lie celui de la nature
et de la grâce.
Lecture extraits des quatrains 838-872 pp.1274-1276 par Pierre-Yves
Péguy
« Jésus parle.
(…)
Seigneur qui les avez
formés de cette terre,
Ne soyez pas surpris
qu’ils soient trouvés informes,
Et bossus et bancals
et sournois et difformes,
Et mauvaise nature et
mauvais caractère.
(…)
Seigneur qui les avez
pétris de cette terre,
Ne vous étonnez pas
qu’ils soient trouvés terreux,
Vous les avez pétris
de vase et de poussière,
Ne vous étonnez pas
qu’ils marchent poussiéreux.
(…)
Seigneur qui les avez
pétris de cette humble matière,
Ne vous étonnez pas
qu’ils soient faibles et creux.
Vous les avez pétris
de cette humble misère.
Ne soyez pas surpris qu’ils
soient des miséreux.
(…)
Car le surnaturel est
lui-même charnel
Et l’arbre de la grâce
est raciné profond
Et plonge dans le sol
et cherche jusqu’au fond
Et l’arbre de la race
est en lui-même éternel.
Et l’éternité même est
dans le temporel
Et l’arbre de la grâce
est raciné profond
Et plonge dans le sol
et touche jusqu’au fond
Et le temps lui-même
est un temps intemporel.
Et l’arbre de la grâce
et de l’arbre de nature
Ont lié leurs deux
troncs de nœuds si solennels,
Ils ont tant confondu leurs
destins fraternels
Que c’est la même
essence et la même stature.
Et c’est le même sang
qui court dans les mêmes veines,
Et c’est la même sève
et les mêmes vaisseaux,
Et c’est le même
honneur qui court dans les mêmes peines,
Et c’est le même sort scellé
des mêmes sceaux.
(…)
Toute âme qui se sauve
ensauve aussi son corps,
Comme une sœur ainée
emporte un nourrisson.
Et toute âme qui
touche aux suprêmes rebords
Est comme un
moissonneur au bord de la moisson.
Et l’arbre de la grâce
et l’arbre de nature
Sont liés tous les
deux de nœuds fraternels
Qu’ils sont tous les
deux âme et tous les deux charnels
Et tous les deux carême
et tous les deux mâture.
(…)
Et tous les deux crées
et tous les deux créature,
Et tous les deux
vaisseaux sur le même Océan,
Et tous les deux armés
de la même armature,
Et tous les deux
berceaux sur le même néant.
(…)
Et l’un ne périra que
l’autre aussi ne meure.
Et l’un ne survivra
que l’autre aussi ne vive.
Et l’un ne restera que
l’autre ne demeure.
Et l’un ne passera sur
la suprême rive,
Que l’autre aussi ne
fasse un semblable voyage.
Et l’un ne partira
dans son dernier trousseau
Que l’autre aussi ne
fasse un tel appareillage
Et ne s’embarque aussi
sur un dernier vaisseau.
Source :
Péguy, Charles (2014), Œuvres poétiques
et dramatiques. Gallimard, Collection de la Pléiade. NRF. 1 828p.
1ere édition : Péguy, Charles (1913), Eve, Cahiers de la quinzaine. 4eme
cahier de la quinzième série.
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