Universalité : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? (…) Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » « Il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. » Luc est celui qui souligne avec le plus de force la révolution qu’implique la passion/résurrection de Jésus, devenu Christ et Seigneur. Non seulement il accomplit les promesses des Écritures du peuple Juif, mais il vient combler l’attente spirituelle du monde païen. Ce qui se passe est inédit. Alors que l’Empire tente une unification politique des nations, Jésus, le Christ, va rassembler dans la foi toutes les nations. Si l’évangile selon Luc commençait à Jérusalem et s’y achevait, le livre des Actes des apôtres commence à Jérusalem mais s’achève à Rome. Alors que politiquement la rupture entre Jérusalem et Rome sera violente et se terminera dans le sang et la domination de l’une par l’autre, par la destruction du Temple, Luc a l’assurance, dans la foi, que Rome et Jérusalem trouveront dans les évangiles le lien qui les rassemblera. C’est inouï, Luc en a conscience et nous en sommes les héritiers. Il faut la puissance de l’Esprit pour ouvrir les apôtres à cette dimension universelle. Joie, mais aussi défi aujourd’hui pour l’Église : comment entendre la Bonne Nouvelle sur tous les continents, la vivre dans toutes les cultures, sans en faire un rouleau compresseur impérial uniforme, mais en articulant unité et diversité. La gouvernance synodale de l’Église tente de trouver cette voie. Il nous faut la trouver dans chacune de nos communautés.
Les Écritures dévoilées. Jésus, désormais Seigneur, entrée dans la vie du Père, est l’Interprète par excellence des Écritures, c’est Lui qui en donne la clef et pas l’inverse. Luc insiste : Moïse et la loi, les prophètes et les psaumes. Et c’est à nous désormais d’en faire, en Lui, une lecture filiale, dans l’assemblée des fils et des filles, en Église. Je veux dire par là qu’il ne s’agit plus uniquement d’une lecture de docteurs et de scribes, de savants, détachés de leur objet d’étude, mais de fils et de filles. Une lecture qui autorise le texte entendu à accéder au statut de Parole. Car c’est cette Parole qui est présence de Celui qui a été enlevé à nos yeux de chair. C’est ainsi qu’Il se fait présence au cœur de ses disciples, en cet instant même et dans tout groupe de partage des Écritures (‘’notre cœur n’était-il pas tout brûlant tandis qu’il nous interprétait les Écritures’’). Toute instrumentalisation de la Bible qui tend à justifier des positions de domination ou de violence, incompatibles avec l’esprit de l’Évangile de Jésus, le Christ, est une négation de la passion/résurrection du Christ, anti-chrétienne. Soyons vigilants. La tentation est grande en période de fortes tensions d’utiliser l’Ancien Testament pour justifier la violence, en oubliant tout à coup la clef de lecture qu’est Jésus, le Christ.
La
vie publique de Jésus de Nazareth, sa Passion/résurrection et son entrée dans
la Vie du Père, dessine l’itinéraire du frère aîné.
Oui, c’est bien un itinéraire qui nous est découvert, celui du Serviteur qui n’a
pas revendiqué son rang auprès de Dieu : Jésus de Nazareth s’est fait solidaire
des hommes dans le mal qu’ils subissent, présent à leur libération, à leur guérison
(nous invitant nous aussi à cette présence auprès de toute vie à guérir,
relever, soigner) ; mais sa présence se fait solidaire jusque dans leur
souffrance extrême et leur impuissance devant le mal lorsqu’il les submerge (un
procès inique et une mort ignominieuse : l’heure des ténèbres où l’homme crie :
‘’Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?’’) ; Enfin, Jésus, solidaire
des hommes jusque dans le mal qu’ils commettent, ne les abandonnant pas à leur
misère extrême (‘’Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font’’), se
faisant péché pour nous, ravalé au rang des malfaiteurs, descendant jusqu’en
nos enfers pour aller chercher jusqu’au fils de perdition, la Brebis perdue,
celle qu’il doit prendre lui-même sur ses épaules, perdue dans le désert de l’iniquité.
Alors,
le fils que l’on croyait parti et perdu et que son frère accusait d’avoir
dilapidé l’héritage du Père, le voilà accueilli dans les bras du Père et vivant
dans l’amour paternel qui n’a cessé de l’attendre ; mais il revient désormais
avec la multitude de ses frères et sœurs avec qui il a dépensé sa propre vie,
celle que le Père lui a donnée, les pécheurs avec qui il a partagé la même
table (‘’Il mange avec les pécheurs’’), donnant sa vie sans compter : Matthieu
le publicain, Zachée le collecteur d’impôts, La Samaritaine, la pécheresse, le
centurion, le bon larron et la multitude qui se croyait indigne de l’amour du Père.
Cet itinéraire, c’est aussi celui du grain de blé jeté en terre, sorti du sein
du Père, en abondance, dans tous les terrains, ce grain enfoui et que l’on
croyait mort, le voilà devenu épi, lourd de toute une multitude, moisson
abondante sous le soleil du Père. Oui, c’est ce chemin que le Père a authentifié.
Alors Jésus peut être reconnu Fils, Christ et Seigneur, Grand Prêtre qui s’est
offert lui-même et qui est entré dans le sanctuaire qui n’est pas fait de main
d’homme. L’image cosmique de l’enlèvement au ciel dit tout cela. La Croix n’est
pas la fin. C’est la vie qui est donnée par le Père. Celui qui a donné a pu
recevoir.
Désormais, c’est à la communauté, à nous, d’en être les témoins vivants, l’incarnation au présent. De montrer que cette voie est chemin, vérité et vie.
La
promesse du don venu d’En-Haut. Mais il ne s’agit pas de reproduire un modèle. La vie
continue par le don d’En-Haut qui vient. Car c’est désormais l’Esprit qui
conduit et achève l’œuvre du Fils en la multitude de ses disciples. Mais cela,
c’est Pentecôte. Pour l’instant, et de manière pédagogique, les disciples sont
invités à rester à Jérusalem et à s’approprier l’expérience inouïe qu’ils
vivent, celle de la relecture de la Passion/Résurrection de Jésus, reconnu
Seigneur.
Viendra pour eux aussi, comme pour le Fils sorti du sein du
Père, le temps de la sortie jusqu’aux confins.