Voici un article extrait de La Croix International, traduit par JP Fayol, qui pourrait vous intéresser par rapport à notre sujet "la messe autrement". N'hésitez pas à réagir, ces pages sont là pour débattre !
Histoires de nourriture
Imaginer une Eucharistie plus réelle, plus enracinée, plus humaine et plus riche de vie
Thomas O'Loughlin
Royaume-Uni
Le succès des moines qui vendent du fromage en ligne ne devrait pas nous surprendre.
Neuf cents ans d'histoire, l'image de ces hommes éloignés du monde que sont les moines travaillant de leurs mains, l'espoir d'une saveur unique plutôt que celle d'un produit de masse, font du fromage de Cîteaux un produit gagnant.
Nous voulons que notre nourriture ait une histoire.
La production de masse de l'industrie alimentaire nous a donné la nourriture la moins chère de l'histoire (si on mesure uniquement en termes économiques). Elle a peut-être fait de ceux d'entre nous qui vivent dans le monde industrialisé les personnes les mieux nourries et les plus obèses que la planète ait jamais connues.
Mais nous n'aimons pas y penser. Nos cœurs et nos esprits sont ailleurs.
Nous savons que la plupart des aliments que nous consommons (dont une grande partie est presque prête à être consommée) ont été transformés plutôt que cuits. Nous mangeons de "ceci" et de "cela" tout prêt, venant des mêmes marques internationales, mais nous aspirons à quelque chose de mieux.
Un restaurant de hamburgers est très pratique : après tout c'est de la nourriture de commodité. Mais ce n'est ni romantique, ni agréable et ni spécial. Il est ce qu'il est. Il faut le respecter pour son honnêteté. Mais nous voulons quelque chose de mieux.
L'artisan
L'image la plus populaire en matière de marketing alimentaire est celle de l'artisan - une personne de grande expérience qui prépare un aliment à petite échelle et est en contact direct avec le produit, des aliments préparés avec soin par des personnes compétentes qui utilisent leur art, leurs connaissances et leurs mains.
En consommant des aliments artisanaux, je deviens un collaborateur de ces personnes bien réelles. J'absorbe non seulement la nourriture-énergie mais aussi la nourriture-esprit car cette nourriture est humaine.
C'est pourquoi le succès du fromage de Cîteaux est garanti. Ceux qui l'achètent n'obtiennent pas seulement un excellent fromage crémeux, mais partagent l'histoire de l'homme qui l'a fabriqué, une histoire vieille de plusieurs siècles.
Beaucoup d'acheteurs n’ont pas goûté ce fromage -tout comme moi- et ils ne savent pas que Cîteaux a été fondée en 1098 et qu'elle fut le foyer d'un grand mouvement de réforme parmi les Eglises occidentales.
Ce qu'ils imaginent, c'est qu'il est plus réel, plus enraciné, plus humain et plus chargé d'histoire qu'un fromage à tartiner emballé dans du plastique, que la publicité nous vante et que l'on peut acheter dans toutes les grandes surfaces du Vatican à Vladivostok.
Ainsi la bière des moines de l'abbaye du Mont-Saint-Bernard en Angleterre et d'une douzaine de monastères en Belgique, les saucisses fumées de certains monastères allemands et les liqueurs des couvents italiens se vendent à coup sûr.
Une production de masse sans histoire
Considérons maintenant la nourriture de nos célébrations eucharistiques. Ces rondelles sans saveur empilées dans un ciboire pour une livraison rapide, sont à l'opposé du pain artisanal provenant d'une boulangerie locale et sentant bon la fraîcheur. Le pain d'autel a eu la distinction douteuse d'être le premier aliment produit en masse au monde.
Pourtant, les rondelles ont une histoire, une histoire théologique. Mais c'est une histoire qui ne parle plus à nos sens.
Cette nourriture a une histoire - une grande histoire qui remonte à Emmaüs, à la dernière Cène, aux repas de Jésus et aux repas eucharistiques des communautés juives des centaines d'années avant Jésus. Mais nous ne la trouvons pas dans les hosties.
Nous disons que nos rassemblements eucharistiques sont le centre et le sommet, et nous l'appelons la fête des fêtes. Mais ce n'est qu'une question d’intellect : les mains, les cœurs et les sens sont absents.
Nous prétendons croire que Dieu agit par ce sacrement. Mais le pain, cet objet fondamental de nos sens et de la subsistance de nos corps, n'a pas sa place dans cet événement. Les mots sont là mais l’expérience est ailleurs.
Et nous nous demandons pourquoi tant de gens trouvent la liturgie eucharistique peu gratifiante !
Travail local, histoire réelle
Que dire de cette situation ? Imaginez qu'à notre eucharistie, la personne qui présente le pain - lors de la présentation des dons - soit la personne qui l'a préparé.
Ce serait alors le pain de Jill, de Bill, de Cathy ou de Mike. Il sera accompagné de son savoir-faire et de son histoire, et deviendra notre pain.
La préparation du pain, le travail d'un artisan, ferait partie de l'histoire de cette communauté, de cette Église, de ce Corps du Christ.
Il en va de même pour le vin.
Au lieu du liquide fade et sucré ressemblant à du sherry que la plupart des gens n'associent pas au vin, une famille pourrait acheter une bouteille (de vin) et l’offrir à toute la communauté.
Ce sont des petits pas, mais ce sont les premiers vers la création d'une liturgie authentique enracinée dans notre histoire. Cela pourrait nous aider à créer une liturgie qui soit l'expression authentique de la communauté.
Lorsque la liturgie ne parvient plus à louer Dieu à partir de l'histoire des membres de la communauté, elle nie sa nature même de célébration émergeant de la vie de tous ses célébrants.
Thomas O'Loughlin est prêtre du diocèse catholique d'Arundel et Brighton et professeur de théologie historique à l'université de Nottingham (Royaume-Uni). Son dernier livre est « Manger ensemble et devenir un, recevoir l’appel de François aux théologiens » (“Eating Together, Becoming One : Taking Up the Pope Francis's Call to Theologians “, Liturgical Press, 2019).
Pour en savoir plus : https://international.la-croix.com/news/culture/food-stories/14165
Food Stories
Imagining a more real, more earthed, more human and more story-filled Eucharist.
By Thomas O'Loughlin
United Kingdom
The success of the monks selling cheese on-line should not surprise us.
Cîteaux with its nine-hundred-year history, its image of those most un-modern of being, monks, working with the hands, and the expectation of a unique, rather than mass-produced, flavour make it a winner.
We want our food to have a story!
The mass-production of the food industry may have given us the cheapest food in history (if measured solely in economic terms). And it may have made those of us living in the industrialised first world the best fed – and most obese – people the planet has ever known.
But we do not like to think about that. Our hearts and imaginations lie elsewhere.
We know that most of the food we eat – much of it nearly ready for consumption – has been processed rather than cooked. We eat the same international brands of ready-made "this", and instant "that", but we long for something more.
A hamburger restaurant is very handy. It's convenience food, after all. But it is not in the least romantic, charming or special.
It is what it is. It should be respected for its honesty, but we still want something more.
The artisan
The most popular idea in food marketing is that of the artisanal – food prepared by an artisan on a small scale who is in touch with the nature of the produce; someone long experience. This is food prepared with the care that comes from a skilled people using their art, skills and hands.
In having artisanal food, I become a collaborator with such real, earthy people. I absorb not only the nutrition, food as fuel, but the spirit of the production: food as a human basic.
This is why the cheese from Cîteaux was guaranteed to be a success. Those who purchased it were not just getting an excellent creamy cheese, but were sharing in the story of the man who made it – and a history stretching back centuries.
Many of the purchasers had never tasted it before – just as I have never tasted it, nor did they know that Cîteaux was founded in 1098 and it is the home of a great reform movement among the western Churches.
What they knew was that it was somehow more real, more earthed, more human and more story-filled than some plastic-wrapped, much-hyped cheese-spread that could be bought in every superstore from the Vatican to Vladivostok.
So beer from the monks of Mount St Bernard's Abbey in England and from a dozen monasteries in Belgium, smoked sausages from some of the German monasteries, and liqueurs from Italian convents are all sure to sell.
Mass-production without a story
Now consider the food of our Eucharistic celebrations. Plastic roundels without flavor and with a story. The altar bread had the dubious distinction for being the world first mass-produced food stuff.
The hundreds of wafers, stacked up in a ciborium for fast delivery, are the polar opposite of the artisanal loaf from a local bakery smelling of freshness.
Yet the roundels do have a story – a theological story. But it's one that does not speak to the senses.
The food has a story – a great story reaching back to Emmaus and the Last Supper and the meals of Jesus and the Eucharistic meals of Jewish communities for hundreds of years before Jesus. But we do not capture it in these wafers.
We say that our Eucharistic gatherings are the center and summit, and we call it the feast of feasts. Butthis is justhead stuff. The hands and heart and senses are all in abeyance.
We claim that we believe God works through created means within a sacramental universe. But that basic object of our senses and the sustenance of our bodies, a loaf of bread, has no place in this event. The words are in one sphere, the experience in another.
And we wonder why so many find liturgy unrewarding!
Local work, real story
But how about this situation. Imagine if at our Eucharist the person who presented the gift of the loaf – at the Presentation of the Gifts – was the person who had baked it.
It would now be Jill's loaf or Bill's loaf or Cathy's loaf or Mike's loaf. It would come with their skill and their story – and become our loaf.
The preparation of the loaf, the work of an artisan, would be part of the story of this community, this Church, this Body of Christ.
Likewise with the wine.
Instead of the blandly sweet sherry-like liquid that most people do not link with the word "wine", we might have a family who had bought a bottle of wine that they were giving for the whole community this Sunday.
These are small steps, but they might be first steps in creating an authentic liturgy with a real human story that is our story. It might help us toward a liturgy that is authentic expression of the community.
When the liturgy fails to praise God from the story of those who belong to the worshipping community it denies its very nature as a celebration emerging from the lives of all its celebrants.
Thomas O'Loughlin is a priest of the Catholic Diocese of Arundel and Brighton and professor of historical theology at the University of Nottingham (UK). His latest book is Eating Together, Becoming One: Taking Up Pope Francis's Call to Theologians (Liturgical Press, 2019)
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