Attendre, pour mieux apprivoiser l’inattendu
Marion
Muller-Collard La Vie 26/11-02/12 2020
Elisabeth
d’abord, Marie Ensuite. Aucune d’elles ne s’attendait à attendre. L’une est
trop vieille, l’autre trop jeune. Elles ne sont pas seules ces femmes. A leurs
côtés, des hommes qui, comme elles, ignorent être en gestation. L’attente est
quelque chose que nous ignorons souvent, tout occupés que nous sommes à tenter,
en vain, de forcer demain. Elle est trop vaste, l’attente, trop immense, elle
nous donne le vertige devant tous les possibles, alors nous la réduisons au
programme. Le programme de Zacharie, ce jour-là : honorer sa charge de
prêtre, tiré au sort pour offrir le parfum à l’intérieur du temple de
Jérusalem.
Zacharie
se trouve dans la « matrice du Temple » lorsqu’un ange lui apprend
l’inattendu. Elisabeth est enceinte. Ils ont passé l’âge, ils croyaient
Elisabeth stérile. Aussi ce que dit l’Ange est incroyable- mais si ce n’est pas
pour l’incroyable, pourquoi aurions-nous besoin des anges ? Zacharie
balbutie : « A quoi
reconnaîtrai-je cela ? Car je suis vieux et ma femme est d’un âge avancé. »
Frappé d’incrédulité, il sera ensuite frappé de mutisme. Le mutisme sera l’abri
de son attente. L’ange prend acte de notre incapacité à dire l’inouï, à réviser
de fond en comble ce que nous tenons pour sûr. Tu sauras que c’est vrai,
puisque tu n’auras pas les mots pour le dire. Le silence est la couvade de
Zacharie. Elisabeth, elle, grossit d’inattendu.
Marie
attend des fiançailles. Dans un état d’esprit dont nous ignorons tout (a-t-elle
seulement déjà vu Joseph ? S’agit-il d’une de ces unions arrangées dont
elle peut espérer le meilleur comme redouter le pire ? Joseph est-il un de
ces vieux garçons incasables ou un jeune homme plutôt charmant que les autres
filles lui envient ?) Ce qu’attend Marie avec impatience, crainte,
indifférence, désir ou dégoût, c’est un époux. Mais l’inattendu frappe sur sa
maison comme il a frappé, quelques mois plus tôt, le foyer de sa lointaine
cousine. Comme Zacharie elle est « troublée »… Il n’en demeure pas
moins que Marie acquiesce. Ce « oui » est une folie encore plus
grande que l’annonce : elle se condamne - à mort selon la loi aux yeux de son fiancé et aux yeux du peuple
auquel elle appartient. Accueillir l’incroyable dans un face à face avec
l’ange, c’est une chose. Convaincre la communauté humaine de cet incroyable en
est une autre. Mais ce travail- là n’est pas le sien. Elle va retrouver cette
cousine frappée aussi d’une grossesse inattendue. Reconnaissance des entrailles,
les inattendus se lient…
Arrive
la première naissance…On s’attend à ce que Zacharie accouche enfin de mots.
« Tu ne pourras pas parler jusqu’au
jour où cela se produira » avait prédit l’ange. Mais l’enfant naît et
Zacharie reste muet : car l’inattendu n’en a pas fini pour autant.
Zacharie retrouvera la parole lorsqu’il aura écrit le nom de ce fils…Il doit
s’appeler Zacharie comme son père. Voilà ce qui est attendu. « Jean est
son nom » inscrit Zacharie. Alors qu’il consent à sortir du rang, sortir du
sang, alors qu’il admet que l’arrivée de cet inattendu ne met pas un terme à
l’attente mais la creuse encore davantage, alors là, oui, sa langue se délie.
« Il n’y a dans ta parenté personne
qui soit appelé par ce nom » soupire le cercle de famille. Ils n’ont
pas encore compris qu’il faut laisser venir au monde l’inédit. Et nous
l’avons-nous admis ? Jean signifie : « Dieu fait
grâce ».
Parmi
les grâces faites à Marie, son époux. A l’inconcevable, Joseph dit
« oui ». C’est peu de dire qu’il n’a pas l’égo encombrant. Dans cette
affaire, il hérite de la menace, privé de l’orgueil paternel de voir en
l’enfant son fils. Sa couvade : l’inquiétude…
Alors, lorsqu’il naîtra, c’est au risque que naîtront Joseph et Marie, et nous tous avec eux. Ce risque pris par Dieu de dépendre de notre capacité à accueillir l’inattendu, à le protéger et le laisse bousculer nos programmes.
Ce
que l’Avent nous raconte, c’est qu’avec Zacharie, Elisabeth, Joseph et Marie
nous sommes enceints. Nous attendons et nous ne savons jamais à quoi nous
attendre…Arrive toujours autre chose que ce que nous attendions, arrive
toujours quelqu’un d’autre…La foi n’est peut-être rien d’autre que notre
capacité à naître au risque pour attendre. Nous n’aurons jamais fini d’attendre
un sauveur qui n’aura jamais fini de déjouer nos attentes. La façon dont il
vient nous replonge à la fois dans la précarité et la profondeur de nos vies.
N’attendons pas d’être à l’abri de tout danger pour être pleinement vivants,
sans quoi nous sommes déjà morts, ou bien plutôt pas encore nés.
Alors, lorsqu’il naîtra, c’est au risque que naîtront Joseph et Marie, et nous tous avec eux. Ce risque pris par Dieu de dépendre de notre capacité à accueillir l’inattendu, à le protéger et le laisse bousculer nos programmes.
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