jeudi 10 décembre 2020

Père Gilbert Brun : "Attendre, pour mieux apprivoiser l’inattendu" de Marion Muller-Collard

 Attendre, pour mieux apprivoiser l’inattendu

Marion Muller-Collard    La Vie 26/11-02/12 2020


Elisabeth d’abord, Marie Ensuite. Aucune d’elles ne s’attendait à attendre. L’une est trop vieille, l’autre trop jeune. Elles ne sont pas seules ces femmes. A leurs côtés, des hommes qui, comme elles, ignorent être en gestation. L’attente est quelque chose que nous ignorons souvent, tout occupés que nous sommes à tenter, en vain, de forcer demain. Elle est trop vaste, l’attente, trop immense, elle nous donne le vertige devant tous les possibles, alors nous la réduisons au programme. Le programme de Zacharie, ce jour-là : honorer sa charge de prêtre, tiré au sort pour offrir le parfum à l’intérieur du temple de Jérusalem.
 
Zacharie se trouve dans la « matrice du Temple » lorsqu’un ange lui apprend l’inattendu. Elisabeth est enceinte. Ils ont passé l’âge, ils croyaient Elisabeth stérile. Aussi ce que dit l’Ange est incroyable- mais si ce n’est pas pour l’incroyable, pourquoi aurions-nous besoin des anges ? Zacharie balbutie : « A quoi reconnaîtrai-je cela ? Car je suis vieux et ma femme est d’un âge avancé. » Frappé d’incrédulité, il sera ensuite frappé de mutisme. Le mutisme sera l’abri de son attente. L’ange prend acte de notre incapacité à dire l’inouï, à réviser de fond en comble ce que nous tenons pour sûr. Tu sauras que c’est vrai, puisque tu n’auras pas les mots pour le dire. Le silence est la couvade de Zacharie. Elisabeth, elle, grossit d’inattendu.
 
Marie attend des fiançailles. Dans un état d’esprit dont nous ignorons tout (a-t-elle seulement déjà vu Joseph ? S’agit-il d’une de ces unions arrangées dont elle peut espérer le meilleur comme redouter le pire ? Joseph est-il un de ces vieux garçons incasables ou un jeune homme plutôt charmant que les autres filles lui envient ?) Ce qu’attend Marie avec impatience, crainte, indifférence, désir ou dégoût, c’est un époux. Mais l’inattendu frappe sur sa maison comme il a frappé, quelques mois plus tôt, le foyer de sa lointaine cousine. Comme Zacharie elle est « troublée »… Il n’en demeure pas moins que Marie acquiesce. Ce « oui » est une folie encore plus grande que l’annonce : elle se condamne - à mort selon la loi  aux yeux de son fiancé et aux yeux du peuple auquel elle appartient. Accueillir l’incroyable dans un face à face avec l’ange, c’est une chose. Convaincre la communauté humaine de cet incroyable en est une autre. Mais ce travail- là n’est pas le sien. Elle va retrouver cette cousine frappée aussi d’une grossesse inattendue. Reconnaissance des entrailles, les inattendus se lient…
 
Arrive la première naissance…On s’attend à ce que Zacharie accouche enfin de mots. « Tu ne pourras pas parler jusqu’au jour où cela se produira » avait prédit l’ange. Mais l’enfant naît et Zacharie reste muet : car l’inattendu n’en a pas fini pour autant. Zacharie retrouvera la parole lorsqu’il aura écrit le nom de ce fils…Il doit s’appeler Zacharie comme son père. Voilà ce qui est attendu. « Jean est son nom » inscrit Zacharie. Alors qu’il consent à sortir du rang, sortir du sang, alors qu’il admet que l’arrivée de cet inattendu ne met pas un terme à l’attente mais la creuse encore davantage, alors là, oui, sa langue se délie. « Il n’y a dans ta parenté personne qui soit appelé par ce nom » soupire le cercle de famille. Ils n’ont pas encore compris qu’il faut laisser venir au monde l’inédit. Et nous l’avons-nous admis ? Jean signifie : « Dieu fait grâce ».
 
Parmi les grâces faites à Marie, son époux. A l’inconcevable, Joseph dit « oui ». C’est peu de dire qu’il n’a pas l’égo encombrant. Dans cette affaire, il hérite de la menace, privé de l’orgueil paternel de voir en l’enfant son fils. Sa couvade : l’inquiétude…
Alors, lorsqu’il naîtra, c’est au risque que naîtront Joseph et Marie, et nous tous avec eux. Ce risque pris par Dieu de dépendre de notre capacité à accueillir l’inattendu, à le protéger et le laisse bousculer nos programmes.
 
Ce que l’Avent nous raconte, c’est qu’avec Zacharie, Elisabeth, Joseph et Marie nous sommes enceints. Nous attendons et nous ne savons jamais à quoi nous attendre…Arrive toujours autre chose que ce que nous attendions, arrive toujours quelqu’un d’autre…La foi n’est peut-être rien d’autre que notre capacité à naître au risque pour attendre. Nous n’aurons jamais fini d’attendre un sauveur qui n’aura jamais fini de déjouer nos attentes. La façon dont il vient nous replonge à la fois dans la précarité et la profondeur de nos vies. N’attendons pas d’être à l’abri de tout danger pour être pleinement vivants, sans quoi nous sommes déjà morts, ou bien plutôt pas encore nés.

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